L'hôtel Lancreau de Bellefonds

14 rue Pocquet-de-Livonnières

Le logis d’un maire d’Angers

Restauré en 1998-1999 et depuis lié intérieurement à l'hôtel de Livois afin d'assurer un accueil adéquat à l'Université du Temps Libre (ECA 3), cet ancien hôtel particulier tient son nom de la famille Pissonnet de Bellefonds de Lancreau qui l'acheta en 1747 et l'occupa durant un siècle. Il fut en réalité construit pour un maire d'Angers et avocat au siège présidial* d'Angers, François Bitault, seigneur de la Raimbardière. Il s'agit en fait d'une réédification à partir d'un logis probablement du XVe siècle, les travaux étant situables entre 1571, date d'extension du terrain, et 1589 selon la date portée sur la lucarne du pavillon, dans la cour d'entrée. Un jardin surélevé, en prolongement de la cour postérieure, est décrit à la Révolution comme un grand parterre « d'environ cinquante pieds carrés, garni d'espaliers et arbres à fruits le longs de ses murs ». Il a disparu peu après 1840, au profit des habitations de la rue du Mail.

Cet édifice appartient au mouvement de la Seconde Renaissance* angevine introduite à partir des années 1540 par Jean Delespine, architecte de la Ville. Cet admirateur de Philibert Delorme (architecte du roi) et auteur du château de Serrant (près de Saint-Georges-sur-Loire) était aussi le maître d'œuvre attitré des notables locaux, échevins ou magistrats. Il fournit avec les hôtels de Lesrat (rue Chevreul), puis de Charnières (dit aussi Louet, place Louis-Imbach) les nouveaux modèles d'architecture patricienne dont s'inspire l'hôtel Lancreau. A l'exubérance ornementale de la Renaissance ligérienne (que pratique Delespine à l'hôtel de Pincé) succède un parti d'austérité extérieure annonçant les débuts du classicisme français. Au-dessus d'un puissant soubassement s'élèvent deux étages monumentaux ordonnés en travées régulières que surplombent de sévères lucarnes à frontons triangulaires ou curvilignes. Bandeaux plats, corniches à gros modillons, grandes croisées de pierre (exceptionnellement préservées ici) et chambranles moulurés à « crossettes* » des fenêtres assurent la mise en valeur des lignes architecturales, sans concession ornementale.

Austérité extérieure, richesse intérieure

L'intégration de l'escalier principal dans le corps de logis constitue à cette époque une autre nouveauté marquante dans l'histoire française de la distribution. Cependant, à l'hôtel Lancreau, le pittoresque pavillon à l'impériale au-dessus de l'escalier manifeste l'attachement à la tradition médiévale du signalement extérieur. Le traitement du volume intérieur est toujours sévère et monumental, avec d'amples volées droites ponctuées d'arcs en plein cintre sur les paliers, celui du bel étage orné d'un plafond à vigoureux caissons. On peut admirer à ce niveau, dans la grande salle d'apparat habillée de boiseries du XVIIIe siècle, une cheminée contemporaine du bâtiment et d'un intérêt égal à celle de l'hôtel dit du Roi-de-Pologne (vers 1560). Exceptionnelle par sa richesse décorative d'inspiration antique, elle l'est également par ses tables gravées de sentences grecques (sur le thème de la sagesse), rappelant les vertus du maître des lieux et sa culture d'humaniste.

L'hôtel de Livois

6 rue Emile-Bordier

La demeure d’un collectionneur

L'hôtel de Livois, dont la restauration s'est achevée en 1998, appartient aux plus remarquables demeures de l'ancien quartier des Halles (Louis-Imbach) où s'étaient installées les grandes familles judiciaires et municipales.
Il fut construit vers 1776 pour Pierre-Louis Éveillard de Livois (appelé à tort « marquis » car il ne porta jamais ce titre) qui s'adressa au célèbre architecte angevin Michel Bardoul de la Bigottière, auteur des hôtels de Lantivy (Chemellier) et de Maquillé, ou encore du château de Pignerolle...

De l'hôtel familial, seul fut reconstruit le corps de logis sud, avec cuisine et communs en soubassement, salle à manger et salons au rez-de-chaussée, tandis qu'à l'étage supérieur deux vastes galeries d'exposition, dont une à éclairage zénithal (actuel escalier), agrémentaient l'appartement du collectionneur. Grâce à des textes inédits et aux données archéologiques livrées par le chantier de la restauration, le service de l'Inventaire a pu reconstituer cette exceptionnelle distribution, conçue pour un seul homme et sa « belle maîtresse » que fut la peinture, selon l'expression même de Livois, veuf depuis 1772. La construction de l'église Notre-Dame à la fin du XIXe siècle a considérablement modifié l'aspect de l'hôtel. Tracée sur l'impasse de Livois, la rue Émile Bordier a emporté une partie du jardin et deux anciens bâtiments fermant la cour d'entrée au nord et à l'ouest : un logis secondaire qui comprenait l'escalier principal et les écuries.

A la demande du comte de Perrochel, alors propriétaire des lieux, l'architecte Auguste Martin édifia sur la cour (surélevée de 2 m) l'actuelle aile ouest dans un habile pastiche néo-classique et recomposa radicalement tous les intérieurs, jugés très incommodes pour une habitation familiale.

Pierre-Louis Éveillard de Livois, le prince des collectionneurs angevins

Issu d’une famille noble dont la présence en Anjou est attestée depuis le XVe siècle, fils et petit-fils de magistrats au parlement de Bretagne, le chevalier Pierre-Louis Éveillard de Livois (1736-1790) consacra toute sa fortune à l'acquisition d'œuvres d'art. C’est ainsi qu’il rassembla dans son hôtel particulier, de 1771 à sa mort, entre 400 et 450 tableaux des XVIIe et XVIIIe siècles européens, dont près de la moitié (203 exactement) constitue aujourd’hui le noyau de la riche collection du musée des Beaux-Arts d’Angers. Aucune autre ville du royaume, en dehors de Paris, ne connut pareil rassemblement d’œuvres aussi prestigieuses.

Homme ouvert aux idées des Lumières (il fut un lecteur assidu de l’Encyclopédie, de Rousseau, Voltaire et Helvétius), le chevalier de Livois ne goûtait guère les sujets religieux et son tempérament sensuel l’orienta davantage vers les scènes de genre et les sujets tirés de la mythologie, qui étaient d’habiles prétextes à montrer des nudités féminines. Fidèle à sa maxime – « le plaisir a toujours été mon premier médecin » –, le prince des collectionneurs angevins donna donc la primeur aux paysages sereins et aux scènes galantes.

L’ensemble nous est connu grâce à un catalogue que publia le peintre angevin Pierre Sentout après la mort de Livois en 1791 : les peintres français dominaient, suivis de près par les artistes flamands et hollandais. On sait aussi, grâce à la correspondance du collectionneur conservée à la Bibliothèque municipale d’Angers, que Livois fréquentait les grandes ventes parisiennes et qu’il n’hésitait pas à voyager en France comme à l’étranger pour repérer des toiles, se faisant aider par des marchands ou des artistes comme les peintres Louis Watteau de Lille ou Pierre Alexandre Wille.

Une galerie d’œuvres exceptionnelles

Partageant le goût de ses contemporains, il acheta les œuvres des artistes français en vue dans les années 1770 (Fragonard, Hubert Robert, Jean-Baptiste Le Prince, Greuze, les deux Lagrenée, etc.), mais aussi celles de leurs célèbres devanciers (Lemoyne, de Troy, Watteau, Lancret, Pater, Chardin, etc.). Sa curiosité étant sans limite, il privilégia également dans ses commandes les jeunes talents encore peu connus et de ce fait, plus accessibles en termes de prix : Elisabeth Vigée-Lebrun qui fit son portrait (1775, collection particulière), Jean-Jacques François Le Barbier ou encore Jean-Baptiste Regnault.

À l’intérieur de son bel hôtel, qu’il dota d’un éclairage zénithal, aménagement novateur qui précède celui de la grande galerie du Louvre, deux pièces étaient exclusivement dédiées à la présentation de la collection : l’accrochage y était dense et l’éclat de certains tableaux était rehaussé par de somptueux cadres sculptés de feuillages et d’oiseaux. À la mort de Livois, qui n’avait aucun héritier direct légitime, sa collection fut partagée entre les héritiers réputés « républicoles », ralliés au nouvel ordre révolutionnaire, et ceux absents, suspectés d’émigration, dont la part fut déposée à titre provisoire au muséum d’Angers (ancêtre du musée des Beaux-Arts). La succession ne fut réglée qu’au cours du XIXe siècle, la ville d’Angers ayant à cœur d’acquérir légalement les œuvres demeurées en sa possession.

L'hôtel Lancreau de Bellefonds abrite l'Université Angevine du Temps libre (ECA 3), l'hôtel de Livois accueille quant à lui, l'Association Généalogique de l'Anjou, Angers Musées Vivants et l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts d’Angers.

Glossaire:

*Présidial : palais où siègent la juridiction d'appel et de nombreuses juridictions royales.
*Seconde Renaissance : jusqu'à la fin du XVIe siècle. C'est le début du style classique français, où l'art italien est désormais parfaitement assimilé. C'est un art savant et recherché, qui fait la synthèse entre l'Antiquité, la renaissance italienne et les traditions nationales, ce qui explique la grande variété des architectures pendant cette période d'une province à l'autre.
*Chambranle à crossettes : cadre mouluré d'une baie avec un ressaut décoratif.
*Modillon : petit support placé sous une corniche en répétition.


Dominique Letellier-D'Espinose, chercheur de l'Inventaire, région des Pays-de-la-Loire,service Patrimoine, Mission ville d'Angers
Olivier Biguet, chercheur de l’Inventaire, conservateur du patrimoine, ville d’Angers
Ariane James-Sarazin, conservateur en chef du patrimoine, directeur des musées d'Angers

2013