Un édifice novateur de la première renaissance

Couramment cité dans les ouvrages d’histoire de l’art, l’hotel de Pincé constitue un édifice majeur de la première Renaissance en France. Sa construction était jusqu’ici datée entre 1522, acquisition du terrain, et 1535, d’après l’inscription (refaite) portée sur un pilastre de l’aile droite.

Cependant, une récente étude dendrochronologique (datation par les cernes des bois) menée dans le corps principal assure que le chantier ne fut pas engagé avant 1528-1529. On lui attache la marque d’un grand architecte angevin, Jean Delespine (mais sans archives attestées), l’auteur de la tour centrale de la cathédrale, qui expérimente ici les dernières nouveautés architecturales. La personnalité du commanditaire, Jean de Pincé, lieutenant criminel en la sénéchaussée d’Anjou et maire d’Angers à trois reprises, fut aussi déterminante dans la qualité de l’édifice, où se devine un esprit humaniste empreint d’ésotérisme. La demeure passe à d’autres familles de la noblesse de robe au cours des VIIe et XVIIIe siècles. Une importante restauration de l’édifice –les lucarnes, le décor extérieur notamment, sont entièrement refaits– est entreprise par l’architecte Lucien Magne à l’occasion du don à la ville de l’hôtel dans le cadre de la création d’un nouveau musée.

Situé dans le quartier du Ralliement remodelé au XIXe siècle, l’hôtel de Pincé s’inscrivait à l’origine, sans dégagement, dans un lacis de rues étroites. Le percement de la rue Lenepveu a provoqué le triplement de la cour d’entrée, dont la superficie primitive est encore matérialisée au sol par la partie pavée. Lové dans une étroite parcelle particulièrement contraignante, le logis forme une équerre, composée d’un corps principal, à gauche de la cour, d’un corps d’escalier médian d’une monumentalité impressionnante, suivi à sa droite d’un second corps de logis en forme de pavillon. Malgré l’exiguïté du site, l’hôtel frappe par son ambition: la tour d’escalier en vis, surdimensionnée, renvoie à celle du logis Barrault, hôtel particulier hors norme en France, construit à la fin du XVe siècle, qui fait manifestement office de référence.

Campagnes de construction et décors

Le chantier, qui ne dura que six/sept ans, fut engagé conjointement par le corps principal et l’escalier. Malgré les variations stylistiques, les niveaux de ce premier ensemble sont homogènes selon les datations fournies par les analyses dendrochronologiques. Déjà archaïque par leur lourdeur en cette fin des années 1520, un décor de pilastres à candélabres orne le rez-de-chaussée, mais un esprit plus sobre et raffiné se manifeste à hauteur de l’étage, du comble et des parties hautes de la tour: les pilastres à motifs géométriques (disques, triangles, losanges), les frises de potelets, la scansion des pilastres sur la tour d’escalier illustrent la manière en vigueur dans le Val de Loire.

Les lucarnes à deux niveaux, le second disposé à la manière d’un petit arc de triomphe cantonné d’arcs-boutants, renvoient directement au château disparu de Bonnivet, près de Poitiers (vers 1516-1525), château essentiel de la première Renaissance après l’aile François 1er de Blois, qui continuera d’inspirer Jean Delespine au château de Serrant, en Anjou, dans les années 1540. 

L’aile en pavillon, qui termine le chantier en 1535, révèle un approfondissement de sa culture architecturale, observable dans le même temps à la galerie des chevaliers de la cathédrale Saint-Maurice (1534-1540). Annonciatrices de l’encadrement continu de la fenêtre sous la seconde Renaissance, les ouvertures du premier étage innovent avec leurs pilastres reliés à une frise ou aux plates-bandes, sans l’intermédiaire de chapiteaux. Le décor sculpté y est par ailleurs beaucoup plus fin et antiquisant: acanthes, figures androcéphales, phénix, putti, bucranes, patères, vases, cuirasses moulantes...

Déterminant également pour l’attribution à cet éminent architecte, le pavillon s’achevait par un étage-attique constitué d’une élégante suite ininterrompue d’arcs en plein cintre au-dessus d’une forte corniche, où se situait le dernier appartement. Il a disparu lors de la restauration des années 1880 par Lucien Magne, qui ne le pensait pas d’origine. Ce niveau supplémentaire évoquait encore une fois Bonnivet et son haut surcroît posé sur une imposante corniche, procédé repris peu après à Serrant.

Une distribution intérieure verticale

De par l’exiguïté des lieux, la distribution intérieure, reconstituée, introduit une partition verticale par corps de bâtiment, entre parties publique et privée, scission affirmée par la grande vis doublée au revers d’une "pile" de cabinets. Les deux salles de réception, superposées, occupent le corps principal.

Selon l’habitude, celle du rez-de-chaussée est la plus prestigieuse, avec son riche plafond sculpté affichant les armoiries de Jean de Pincé et de son épouse Renée Fournier, ainsi que des bustes d’hommes et de femmes en médaillons (parmi lesquels des portraits des commanditaires?). Celle de l’étage, moins élevée, revêt un caractère plus simple. Les cheminées sont modernes, tout comme celles du corps de logis droit. Chacune de ces salles est complétée d’une "sallette" chauffée (prenant jour sur une petite cour arrière de service), dont la fonction pouvait varier entre salle à manger du quotidien et office (où dresser les plats) à l’occasion des réceptions dans l’une des grandes salles.

Dans l’aile en pavillon sont superposés les appartements, chacun constitué d’une chambre et d’une garde-robe. De plain-pied avec la belle salle, l’appartement du rez-de-chaussée était certainement dévolu à Jean de Pincé: il est introduit au revers de l’escalier par une sorte d’antichambre dont la voûte porte ses armoiries. Deux autres pièces, proches mais indépendantes, pouvaient être affectées à la gestion de ses affaires: un remarquable cabinet voûté au revers de la vis utilisé peut-être comme chartrier et une salle d’étude logée en entresol dans le corps principal.

L’appartement de l’étage reviendrait à Renée Fournier: il est proche de la salle haute (à une demi-volée d’escalier) qui affiche sur sa porte d’entrée un thème propre à la vertu féminine, le suicide de Lucrèce. Entre les deux, un cabinet peut lui être aussi attribué. La chambre et la garderobe (une seule pièce aujourd’hui) sont encore complétées de minuscules "comptoirs" logés dans les tourelles en surplomb sur la rue de l’Espine. On peut imaginer enfin que l’appartement supérieur (dans l’étage disparu) était destiné aux enfants.

La grande vis, constamment empruntée pour rattraper les décalages de niveau, rompt de fait la fluidité des circulations entre toutes les pièces. La chambre haute au-dessus de la voûte de l’escalier aurait abrité une petite chapelle au regard de la baie géminée, cintrée à la manière de baies d’église, qui l’éclaire sur la cour d’entrée.

Relié aux pièces d’habitation par la vis, le service domestique obéit à la même structuration verticale: deux niveaux de sous-sol regroupent la cuisine (sous l’aile en pavillon, et de plain-pied avec la rue de l’Espine en raison de la forte déclivité du terrain) et ses annexes, dont un puits au revers de l’escalier, ainsi que plusieurs caves dont une sous la cour elle-même.

Qualité de la stéréotomie*

La qualité de la stéréotomie, spécificité des maçons français, atteste la présence d’un grand architecte. La "trompe conique dans l’angle sous le coin" de l’aile droite, qui porte un des comptoirs de l’appartement de la dame, serait le premier exemple connu en France. L’escalier est aussi le lieu privilégié de ce savoir-faire, avec sa voûte "en palmier", comme au logis Barrault, ornée des signes du zodiaque.

Les couvrements des deux premières pièces attenantes à l’escalier sont aussi spectaculaires que la trompe. Celui du rez-de-chaussée présente une voûte en pendentifs, structurée par des nervures formant des caissons, dont les exemples sont rares au XVIe siècle. L’extrême faiblesse de sa flèche fait écho à l’audacieuse voûte de la salle de prestige du logis Barrault. Quant à celle du premier cabinet d’étage, elle constitue le joyau intérieur de l’hôtel par sa structure et son décor: une voûte plate dallée à caissons, ornée de 25 clés en forme de médaillons, dont le programme iconographique, ésotérique, résiste malheureusement encore à l’analyse.

*stéréotomie: l’art du tracé et de la taille des pierres en vue de leur assemblage.

La maison "le Roi David"

Dans la cour d’entrée, se dresse la façade Renaissance datée de 1557 d’une maison autrefois située 12, rue Saint-Laud (l’actuel "Bar du Centre"), édifiée pour un marchand, René Davy, dont l’activité n’a pu être retrouvée dans les archives. Confondue jusqu’à une date récente avec une maison voisine disparue dite la "Reine des Fleurs", elle apparaît, dans une vente en 1593, sous le nom "le Roi David" en raison de son enseigne. L’élargissement de la rue vers 1900 a empêché la conservation sur place de cette remarquable élévation en tuffeau au décor d’entrelacs, caractéristique du maniérisme, unique à Angers.

Le musée Pincé et ses collections

La création du musée Pincé est liée à la générosité de deux artistes angevins du XIXe siècle. À sa mort en 1859, Lancelot-Théodore Turpin de Crissé lègue à la ville d’Angers son importante collection d’antiquités méditerranéennes, d’objets d’art, de peintures et de dessins. En 1860, Guillaume Bodinier décide de faire don de l’hôtel de Pincé afin qu’il puisse servir d’écrin architectural à cette incroyable collection.

Le musée ouvre ses portes en 1889. Le fonds Turpin de Crissé est peu à peu complété par différents legs, dons et achats. Ainsi, en 1916, le legs du comte de Saint-Genys, neveu de Turpin de Crissé, permet au musée d’étendre ses collections à de nouveaux domaines comme celui de l’art asiatique avec un fonds conséquent d’estampes japonaises. Petit à petit, au cours du XXe siècle, le musée est intégralement dédié aux civilisations antiques et extra-européennes.

Le parcours permanent propose de plonger le visiteur dans la diversité des collections. Ainsi, les nombreuses céramiques grecques, les miroirs étrusques en bronze et la verrerie romaine permettent d’envisager les origines de notre civilisation occidentale. L’Égypte ancienne fascine notamment par ses objets funéraires et religieux.

Les civilisations andines et mésoaméricaines de l’Amérique précolombienne, peu présentées jusqu’à présent, se distinguent par l’originalité de leur art céramique. L’art asiatique est illustré par les céramiques et bronzes chinois ou bien encore les masques de théâtre et les bols à thé japonais. Au-delà de cette approche par civilisations, le visiteur est également sensible à l’histoire du goût et des collections. En effet, le musée Pincé est, dès son origine, un musée créé par la curiosité et la passion de collectionneurs philanthropiques et c’est ce qui en fait sa spécificité.

Le parcours muséographique est jalonné de dispositifs de médiation accompagnant la visite. Faisant appel à différents sens (odorat, toucher, ouïe, vue) et à une implication active du visiteur, ils permettent, notamment au moyen des technologies les plus innovantes, de donner des clefs de compréhension des oeuvres de façon didactique et ludique.

Les expositions temporaires du musée ont vocation, quant à elles, à présenter l’ensemble des collections des musées de la ville d’Angers et de l’artothèque sur des thèmes autour du dialogue des cultures et de la découverte de l’ailleurs.

Hôtel de Pincé, rue Lenepveu
Renseignements
 : Conservation et direction des musées d'Angers, 14 rue du musée - 49100 Angers
Tél. : 02 41 05 38 00
Mél. : musees(at)ville.angers.fr
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