Une place privilégiée au coeur de la Doutre

Au coeur du quartier de la Doutre (outre-Maine), l’abbaye du Ronceray était la seule abbaye de femmes sur les cinq que comptait la ville. Son église abbatiale est une oeuvre majeure du début de l’art roman. Elle constitue, avec l’église paroissiale de la Trinité qui lui est accolée peu après, un ensemble remarquable des XIe et XIIe siècles.
A la jonction des voies antiques vers Nantes (rue Saint-Nicolas) et vers Rennes (rue Lionnaise), l’ancien carrefour de la Laiterie formait un centre attractif favorable au développement du bourg. Son accroissement est confirmé par la reconstruction de l’église paroissiale au XIIe siècle. Celle-ci jouxte l’église abbatiale, bordée au nord par le cloître puis par les grands jardins qui s’étendaient jusqu’au Tertre Saint-Laurent.

Du sanctuaire au lieu d’exposition

L’ABBAYE DU RONCERAY

Le comte d’Anjou Foulque Nerra et sa femme Hildegarde fondèrent en 1028 l’abbaye de Notre-Dame-de-la-Charité sur les ruines d’un ancien sanctuaire du VIe siècle. Selon l’hypothèse la plus récente, la construction de l’église abbatiale s’est effectuée d’est en ouest entre 1040 et 1119, date de la consécration de l’autel principal par le pape Calixte II. Apparue au XVIe siècle, l’appellation du Ronceray vient de la légende selon laquelle une ronce poussant dans la crypte cherchait à embrasser une statue de la Vierge. La communauté, soumise à la règle de saint Benoît, n’accueillait que des filles de la noblesse placées sous la direction d’une abbesse. L’abbaye, richement dotée et largement reconstruite au XVIIe siècle, fut l’une des plus opulentes de l’Anjou jusqu’à sa fermeture à la Révolution. Depuis 1815, l’Ecole Nationale Supérieure d’Arts et Métiers s’y est installée. Cette institution a largement remodelé les lieux par une succession de bâtiments et d’ateliers construits entre 1827 et 1995. L’église abbatiale, propriété de la Ville d’Angers, accueille aujourd’hui des expositions d’art contemporain. L’ensemble de l’édifice est protégé au titre des Monuments historiques : depuis 1840 pour l’abbatiale et 1986 pour les bâtiments conventuels autour du cloître.

Une nef, joyau de l’art roman

L’architecture de l’abbatiale


Seule élévation visible place de la Laiterie, la façade sud de l’abbatiale, en petit appareillage de grès, est rythmée par l’alternance de puissants contreforts plats et de grandes fenêtres. L’entrée actuelle de l’église est récente. L’accès principal s’effectuait primitivement par la façade occidentale rue de la Censerie, précédée d’une cour d’entrée signalée par un beau portail du XVIIe siècle. Une seconde porte, dans le bras sud du transept (dont l’extrémité supporte la tour du clocher côté place) est refaite au XVIIIe siècle. Elle servait lors de la procession de la Fête-Dieu qui se déroulait entre la cathédrale et le Tertre Saint-Laurent. Une longue nef du XIe siècle, bordée de collatéraux ouvre sur un transept saillant et un choeur à plan bénédictin*. Ces parties orientales ont beaucoup souffert depuis l’effondrement des voûtes au début du XIXe siècle ; elles sont actuellement en cours de restauration. Seule subsiste entièrement l’absidiole* sud englobée dans l’église de la Trinité. La nef, mieux conservée, présente un couvrement particulièrement original. Couverte d’un berceau plein-cintre rythmé par des arcs doubleaux*, elle constitue l’une des premières expériences en France de voûtement d’un vaste volume. Cette voûte est contrebutée par les berceaux des collatéraux*, perpendiculaires à la voûte principale. Ce principe de construction audacieux qui reporte toutes les poussées sur les piles, permet de dégager les murs extérieurs et laisse pénétrer la lumière par de larges fenêtres.
Les remaniements importants du XVIIe siècle ont transformé l’édifice roman : pour permettre l’installation de stalles dans la nef, les arcades sont fermées à mi-hauteur par des murs et les colonnes engagées de la nef tronquées dans leurs parties inférieures. A cette époque, le sol est surélevé de 1,20 m et des tribunes sont aménagées dans les collatéraux créant ainsi un second niveau. Le maître-autel, qui sépare aujourd’hui la nef du transept, est une oeuvre du XVIIIe siècle provenant du choeur et déplacé à cet endroit en 1816.

Deux églises imbriquées : abbatiale et paroissiale

Un riche décor sculpté et peint

Le programme décoratif couvre l’ensemble intérieur de l’église. Les chapiteaux sont d’une extrême diversité et d’une grande maîtrise. Le décor comprend des motifs végétaux (issus du corinthien), animaliers (grands oiseaux) et des scènes historiées. Le chapiteau le plus remarquable, situé à l’angle de la nef et du croisillon nord, représente la Fuite en Egypte - Joseph conduit un âne sur lequel est assise la Vierge qui tient l’Enfant Jésus sur ses genoux - ; il est comparable, par sa qualité plastique, à ceux du porche de Saint-Benoît-sur-Loire.
Les travaux de restauration entrepris en 1956 par le service des Monuments historiques ont mis au jour des vestiges importants de peintures décoratives. Réalisées au milieu du XIIIe siècle, elles cachaient déjà les premières fissures de la voûte. Les doubleaux* de la nef conservent des décors géométriques et figurés très originaux qui soulignent l’architecture. Ces motifs laissent apercevoir (à partir du 7e doubleau) les armoiries de Blanche de Castille et de trois de ses fils. Seul manque le blason de son fils aîné, le roi saint Louis, situé probablement au niveau du transept ruiné. Ce décor exceptionnel atteste le caractère royal de l’abbaye.

Les bâtiments du cloître

La position des bâtiments conventuels au nord de l’église est rare mais s’explique ici par la topographie urbaine préexistante. Le renouveau liturgique du XVIIe siècle, qui entraîne une réforme du cadre de vie, a engendré une vague de reconstructions. Edifiées en 1655, les ailes austères nord et ouest du cloître présentent des façades en schiste, rythmées par l’alternance de lucarnes à frontons triangulaires et cintrés.
Probablement lors de cette campagne de travaux, le bas-côté nord de l’abbatiale fut intégré au cloître, formant ainsi l’aile sud. L’aile orientale plus basse, en tuffeau, est un peu plus tardive et de style classique. Elle fut couronnée d’un toitterrasse à balustres comme on peut le voir sur la vue de Gaignières de 1699. Cette aile se prolonge par le logis abbatial qui accueille un petit oratoire recouvert de panneaux en bois peints. Les bâtiments du cloître comprenaient à l’ouest les communs et celliers, à l’est la salle du chapitre et au nord le réfectoire.

La crypte de l’abbatiale

La crypte dont on avait perdu le souvenir pendant plusieurs siècles fut retrouvée en 1527. C’est autour de son autel, témoin de la fondation primitive, que se serait développée l’abbaye. Bien que située sous le chevet de l’église du Ronceray, cette crypte n’est cependant accessible aujourd’hui que par l’église de la Trinité. Elle fit d’ailleurs partie du grand programme de restauration effectué au XIXe siècle dans cette église.

L’ÉGLISE PAROISSIALE DE LA TRINITÉ

Des voûtes originales de style Plantagenêt

Architecture et décor élaborés

Inspecteur des Monuments historiques, Prosper Mérimée citait l’église de la Trinité comme « l’une des plus élégantes de cette ville » et intervint pour sa protection dès 1840. Elle fut fondée dans la deuxième moitié du XIe siècle par les abbesses du Ronceray, pour remédier à l’accroissement du nombre de fidèles dans leur abbatiale, siège de la paroisse. Reconstruite dans la deuxième moitié du XIIe siècle, l’église a conservé quelques traces de sa première construction sur le mur extérieur nord. Edifiée le long de la voie commerçante et autrefois bordée par des maisons à pan-de-bois, elle est partiellement imbriquée dans le chevet du Ronceray. En entrant dans la Trinité, la grande chapelle à gauche de la nef n’est autre que la chapelle sud du choeur de l’abbatiale du Ronceray.

Dans la tradition angevine, cette église paroissiale présente un plan roman à nef unique ouvert sur un étroit sanctuaire par un arc triomphal flanqué de deux passages berrichons*. La nef, très particulière, est rythmée par une succession de chapelles alvéolées, peu profondes, voûtées en cul-de-four, creusées dans l’épaisseur du mur.
L’élan vertical de l’espace amène le regard sur les voûtes fortement bombées de style Plantagenêt, dites aussi angevines, où sont associées pour la première fois ogives et liernes*. L’intérieur étonne par la disproportion de plan et d’ornementation entre la nef, spacieuse et richement ornée, et le choeur beaucoup plus modeste. Cela peut probablement s’expliquer par le nombre de paroissiens de la Doutre, alors qu’un choeur peu développé suffisait à accueillir les quelques prêtres.

Caractéristique du roman fleuri du milieu du XIIe siècle, le décor sculpté essentiellement ornemental et végétal évoque celui des abbayes angevines Saint-Aubin et Saint-Nicolas. Le clocher de croisée, construit en 1540, est attribué à Jean de l’Espine, grand architecte angevin de la Renaissance. Il a été enrichi au XIXe siècle dans ses angles de statues des évangélistes, aujourd’hui entreposées à l’entrée de l’église. L’ensemble du monument, architecture et décor sculpté, fut fortement restauré par l’architecte Charles Joly-Leterme entre 1864 et 1880.

Un mobilier riche et varié

La majorité du mobilier est aujourd’hui exposée dans l’entrée de l’église. L’escalier en bois sculpté, provenant de l’ancienne tribune d’orgue (ou d’un jubé*), est une oeuvre typique de la première Renaissance. Le décor reprend les motifs italianisants de cette période : bustes d’hommes et de femmes ceints d’une couronne, vases et candélabres, peuplés d’animaux marins ou fantastiques… Des anges portant les instruments de la Passion soutiennent les colonnettes de l’escalier en vis. Témoin de l’étroite relation entre le Ronceray et la Trinité, une pierre tombale en calcaire dur (au décor incisé) de Renée Sarazin, abbesse du Ronceray de 1493 à 1499, est visible dans l’escalier menant à la crypte. Le mobilier fut complètement renouvelé lors de la restauration du XIXe siècle. Le maître-autel en pierre polychrome de style néo-roman, initialement couronné d’un baldaquin en bois, provient d’un atelier local de sculpture. Il comporte au sommet une représentation de la Trinité, au centre les douze apôtres entourant le Christ inscrit dans le tabernacle et dans les niches inférieures, l’Église catholique encadrée par Adam et Moïse.

On doit les vitraux du transept et du choeur au maître verrier angevin Thierry fils. Les plus remarquables sont ceux du transept consacrés à la vie de la Vierge. Ces vitraux datent des années 1860. Les médaillons, spécifiques du vitrail dit archéologique, reprennent la composition et la couleur bleue propres au XIIIe siècle.

  • Glossaire :

*Absidiole : (petite abside) extrémité arrondie des petites chapelles encadrant le choeur.
*Collatéraux : vaisseaux latéraux encadrant la nef et de hauteur presque égale à celle-ci.
*Doubleau : arc transversal fractionnant la voûte en berceau en plusieurs travées (ou séparant deux voûtes d’ogives).
*Jubé : clôture monumentale séparant le choeur liturgique de la nef.
*Lierne : nervure subdivisant la voûte, en complément des ogives.
*Passage berrichon : passage biais reliant la nef aux bras du transept.
*Plan bénédictin : choeur comprenant une abside encadrée de deux chapelles latérales à absidiole.

 

Adeline PITARD, Master en valorisation du Patrimoine.
Sous le contrôle scientifique de Olivier BIGUET, conservateur du patrimoine,
Ville d’Angers
Dominique LETELLIER-D'ESPINOSE, chercheur, service régional de l’Inventaire, DRAC Pays de la Loire

2006

Découvrez l’abbaye du Ronceray

Place de la Laiterie
Accessible lors des expositions temporaires

Découvrez l’église de la Trinité

Place de la Laiterie, tous les jours de 9h à 12h et de 14h30 à 18h30

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