L'hôpital Saint-Jean, une fondation comtale

L’hôpital Saint-Jean d’Angers est l’un des plus anciens témoins de l’architecture hospitalière française.
La salle des malades, édifice majeur de l’art gothique de l’Ouest de la France, forme avec la chapelle, le cloître et les greniers un remarquable ensemble médiéval civil.

Les origines de l'hôpital


Au XIIe siècle, l’équipement hospitalier d’Angers était alors des plus réduits : deux aumô- neries, deux léproseries et quelques infirmeries monastiques accueillant aussi des laïcs.

Vers 1175, à l’instigation d’Henri II Plantagenêt qui crée des établissements analogues au Mans et dans plusieurs villes de Normandie, le sénéchal d’Anjou Étienne de Marçay fonde un grand hôpital dédié à saint Jean l’Évangéliste, dans le quartier en pleine expansion de la Doutre. La proximité de la Maine, dont un bras coulait au pied même de l’hôpital, a sans doute été déterminante dans l’implantation : approvisionnement par voie fluviale, écoulement facile des eaux usées. La fondation est destinée aux pauvres et malades. Suivant la législation du IIIe concile de Latran, l’hôpital dispose en 1184 d’une chapelle desservie par quatre prêtres, puis, vers 1190, d’un cimetière. Vers 1203-1205, trente reli- gieux, religieuses et frères laïcs, dirigés par un prieur, suivent la règle de saint Augustin et mettent en place des statuts, confirmés en 1267 par le pape Clément IV.

Grâce aux dons généreux d’Henri II et de tout un groupe de laïcs et de prêtres, le sort matériel de la fondation est assuré : écluse des Treilles, partie des péages du Grand pont, libre transport de sel, terres, bois, rentes en ville forment un solide patrimoine. Tous les malades ne sont pas accueillis : on écarte les contagieux, les incurables, les individus dangereux et les jeunes enfants. Les frères doivent parler à «nos seigneurs les pauvres» avec douceur, les bien nourrir, les veiller la nuit, les empêcher d’avoir froid et assister à leur sépulture. Mais cet esprit de service s’émousse à la fin du Moyen Âge.

Plan de l'ensemble hospitalier Saint-Jean

  • 1) Greniers (XIIe) - conservés
  • 2) Ecole des filles (XIXe) - actuelle cuisine des greniers
  • 3) Dépendance des greniers - disparues
  • 4) Administration - disparue
  • 5) Ancienne maison du prieur (XVe) - subsiste l'escalier
  • 6) Boulangerie, porterie, corps de garde (XVIIIe) - disparus
  • 7) Porte d'entrée de l'hôpital (XVIIe) - subsiste la niche surmontant la porte
  • 8) Habitation de l'économe (XIXe) et fontaine Saint-Laurent (XIIe) - conservés partiellement
  • 9) Maison de l'hôpital (louée) - disparue
  • 10) Amphithéâtre de dissection - disparu
  • 11) Cabanons pour les aliénés (diaprus)
  • 12) Hangar - disparu
  • 13) Logement des aumôniers et pensionnaires - disparu
  • 14) Cuisine et réfectoire (XVIIe) - disparus
  • 15) Apothicaireries, latrines, lingerie et chambre de garde (XVIIe) - disparues
  • 16) Petit cloître (XIIe) et chartrier au 1er étage de l'aile sud (XVEe) - conservé
  • 17) Parloir des malades - disparu
  • 18) Chapelle (XIIe) - conservée mais actuellement fermée au public
  • 19) Grande salle des maaldes (XIIe) - aujourd'hui musée Jean-Lurçat
  • 20) Maternité (XVIIe) è actuelle salle Daviers
  • 21) Emplacement des anciennes latrines (XIIIe- XVIIe) - disparues
  • 22) Dépendances de la maternité - disparues
  • 23) Logement des soeurs (XVIIIe) - actuel musée de la tapisserie contemporaine
  • 24) Petite salle de bains, fourneau et étuve - actuel musée de la tapisserie contemporaine
  • 25) Dépendances (salle de bain au r.d.c et salles des maaldes aux étages - disparues, à l'extrémité se trouve l'actuelle loge du concierge
  • 26) Pompe à manège (XVIIIe) - disparue
  • 27) Logement des infirmières - actuelle salle de sport
  • 28) Buanderie (XVIIe) - actuelle salle de sport
  • 29) Grand cloître (XVIIe) - manquent les ailes nord et sud
  • 30) Bûcher - disparu
  • 31) Lavabo (XIIe) - fondations conservées
  • 32) Emplacement de l'actuelle apothicairerie
  • 33) Salles dites de Henri II (XIIIe) - disparues
  • 34) Entrée du cloître - porte du présidial (XVIIe)

L'hôpital des pauvres réorganisé

De l'hôpital... au musée

À partir des années 1480, une grave crise interne oppose le prieur et ses religieux sur le respect des statuts du XIIIe siècle. Au terme d’une série de procès qui durent plus de soixante-dix ans, le Parlement de Paris remet l’administration du bâtiment à quatre bourgeois élus par les échevins, supprime les offices claustraux et refond les statuts en 1554.

Les comptes de journées des malades, conservés depuis 1536, permettent de savoir qu’il y a en moyenne 188 malades par jour en 1656 et jusqu’à 671 en 1782. Les malades sont plusieurs par lit et leur nourriture semble moins variée que celle des religieux qui s’offrent baleine, esturgeon et huîtres. Les médicaments sont fournis par les apothicaires d’Angers jusqu’au legs de Lucrèce Maumussard en 1612 qui permet d’installer une apothicairerie, en partie conservée.

En 1639, les filles de la Charité, accompagnées par Louise de Marillac, prennent en charge le service de l’hôpital. Elles reçoivent la visite de leur fondateur, saint Vincent de Paul, en 1649. Un procès-verbal de 1645 précise que le personnel de l’hôpital compte 10 religieux, 2 chantres, 10 filles de la Charité, 1 receveur et son commis, 1 médecin, 1 apothicaire, 1 chirurgien et ses 3 aides, 55 serviteurs et employés, 20 lavandières et 25 vignerons. En 1797, tous les hôpitaux de la ville sont réunis sous la tutelle municipale.

C’est seulement en 1865 que l’on transfère tous les malades dans un nouvel hôpital, devenu l’actuel Centre hospitalier (CHU). Malgré différents projets de voirie, l’enclos de l’ancien hôpital est finalement préservé du morcellement.

Du musée archéologique, au musée Jean Lurçat et de la Tapisserie contemporaine

En 1874, la salle des malades, affectée au musée des antiquités, est restaurée vers 1900 sous la direction de l’architecte Lucien Magne.
En 1968, les collections laissent place aux tapisseries du «Chant du Monde» de Jean Lurçat. En 1986, les anciennes salles de bains (24) et logements des sœurs de l’hôpital (20), devenus orphelinat municipal au XIXe siècle, deviennent le musée Jean Lurçat et de la tapisserie contemporaine.

Des ateliers de création d’art textile s’installent dans l’ancienne maternité (20) le C.R.A.T. (centre régional d’art textile) qui a existé de 1985 à 2002. D’autres ateliers lui succèdent. Aujourd’hui, seul l’atelier des Liciers angevins est en place.

L’ensemble des bâtiments exceptée la chapelle de l’hôpital a bénéficié d’une restauration à partir de 1988.

Un ensemble hospitalier bien conservé, écrin du "Chant Du Monde" de Jean Lurçat depuis 1968

La salle des malades

On entre aujourd’hui dans cette vaste salle dans le sens inverse de celui du Moyen Âge. L’entrée principale était située dans l’actuelle rue Gay- Lussac (7), puis on passait par le cloître (16) avant d’être admis dans la grande salle (19). Le contraste est saisissant entre l’extérieur en schiste austère et la blanche harmonie de l’intérieur. Cette vaste salle de 60 m sur 22,50 m est attestée en 1188, mais son voûtement, fortement bombé, n’intervient sans doute qu’au début du XIIIe siècle.

Trois nefs égales séparées par deux files de colonnes composent un remarquable volume unitaire, au sobre décor : griffes en volute des bases, chapiteaux à simples motifs végétaux. Jadis, la salle était cloisonnée : un premier mur peu élevé divisait la nef centrale en deux dortoirs. Des parois de bois scellées entre les colonnes séparaient les 110 lits des hommes des 112 lits des femmes que comptait la salle au XVIIe siècle.

Depuis 1962, la pharmacie est présentée à l’entrée de la salle (32).

 

Le "Chant Du Monde" de Jean Lurçat

Dans cet écrin est présenté «Le Chant du Monde» de Jean Lurçat, vaste tenture qui comprend dix tapisseries tissées entre 1959 et 1965 dans les ateliers d’Aubusson (Tabard, Goubely, Picaud). Lorsque Lurçat découvre en 1937 la tenture de «l’Apocalypse» d’Angers, il comprend que la tapisserie peut avoir un langage spécifique. Après la seconde guerre mondiale, il remet au goût du jour avec l’aide des ateliers d’Aubusson, la technique des tons comptés, des gammes de couleurs réduites, du carton numéroté. Chef de file du mouvement de la renaissance de la tapisserie française, il donne toute son énergie à promouvoir et faire connaître ce domaine de l’art. «Le Chant du Monde» est son message personnel de paix et d’espoir, une «Apocalypse» des temps modernes. La richesse du vocabulaire utilisé par Lurçat en fait une des œuvres majeures de l’artiste.

La chapelle

On entre désormais par l’ancien choeur et non plus par la porte romane à panneaux historiés du XVIe siècle dont la base a été dégagée. La chapelle est postérieure à la salle des malades. Consacrée vers 1195 par l’évêque Raoul de Beaumont, elle était destinée à la communauté religieuse et aux malades qui y recevaient les sacrements avant leur admission. De plan carré, deux nefs de même hauteur sont séparées par deux colonnes élancées. Le voûtement porte trace de nombreuses mala- dresses, signe d’un agrandissement. Le fin décor d’arcatures des baies se retrouve autour de la porte d’origine. Le XVIIIe siècle modifie la dispo- sition intérieure. Le maître-autel (1700) et deux autels latéraux (1740) sont installés au nord et entourés d’une table de communion. Face aux autels, une tribune soutenue par deux anges monumentaux comporte une boiserie représen- tant saint Charles Borromée et la peste de Milan.

Les cloîtres et autres lieux communautaires

La salle des malades était encadrée par deux cloîtres (16 et 29). Du grand cloître (29), reconstruit grâce aux 8 000 livres données par René Hiret en 1623, il ne reste qu’une galerie le long de l’entrée actuelle. Appelé aussi cloître des gardiennes au XVe siècle, il est encadré en 1188 par le réfectoire et la cuisine (14) et un logement. Les fondations d’un lavabo de plan hexagonal (31) ont été dégagées en 1874 et sont encore visibles. C’était à l’origine le seul point d’arrivée d’eau.
Le petit cloître ne comporte que trois galeries dans son aspect actuel. Deux sont d’esprit roman avec leurs arcades en plein-cintre reposant sur des colonnes jumelées. C’est l’un des rares cloîtres de cette période dans notre région. La charpente date de la fin du XIIe siècle.
L’aile sud Renaissance, surmontée d’un chartrier, est édifiée par le fameux architecte Jean Delespine après 1534.
Elle jouxte la tour d’escalier de l’ancien logis du prieur (XVe siècle) (5), aujourd’hui détruit. Le quatrième côté n’a jamais été construit.
Au XVIIe siècle, des latrines (21) occupent cet emplacement. Sous le préau se trouve encore une vaste fosse d’aisances, voûtée vers 1540, dont les matières s’évacuaient vers la Maine par un grand collecteur le long de la salle des malades.

La fonction de ce cloître n’est pas celle que l’on connaît dans les monastères. C’était un simple passage pour aller à couvert des logis à la chapelle et à la salle des malades. Ces derniers attendaient là avant d’être autorisés à être admis dans la salle et les religieux s’y tenaient avant de prendre leur service auprès des pauvres.

Il nous manque aujourd’hui de nombreux bâtiments pour comprendre les circulations et le fonctionnement interne. Ainsi en est-il du logement des religieux (13), des cuisines et du réfectoire (14).

Au nord, subsistent encore des bâtiments du XVIIIe siècle, dont la buanderie (1752) (28), transformée en gymnase.
D’autres lieux dépendant de l’hôpital étaient en dehors de l’enclos, tel le cimetière des pauvres, situé sur l’actuelle place de la Paix, de 1190 à 1776.

Des greniers conséquents

Les greniers, caves et écoles (1 et 2)


L’imposant bâtiment qui s’ouvre sur la place du Tertre-Saint-Laurent (1) est construit après 1188. À cette date l’abbesse du Ronceray évoque la « roche de l’aumônerie », lieu désignant les caves. Cette vaste construction possède deux niveaux. Les caves, deux vaisseaux voûtés d’arêtes sépa- rés par d’énormes piliers carrés, ouvrent de plain-pied sur l’enclos grâce à la dénivellation du terrain. À l’étage, les greniers proprement dits sont divisés en trois vaisseaux séparés par de grands arcs en plein-cintre retombant sur des colonnes jumelées (XIIe siècle) ou de simples piliers (XVIe siècle). Les façades sur la place et la rue des Greniers-Saint-Jean, entièrement en schiste, forment l’extrémité de l’enclos hospi- talier avec de longues meurtrières pour seules ouvertures.

L’entrée primitive se situe sur la façade orientale en tuffeau, percée de deux portes pourvues d’un escalier et d’une série de baies jumelées se poursuivant sur le pignon nord.

Le décor très soigné et les nombreuses baies des greniers surprennent pour un simple bâtiment à provisions. Avait-il une fonction d’hospice ? On trouve fréquemment une séparation entre infirmerie et hospice dans beaucoup d’hôpitaux médiévaux. La conservation des céréales y est, en tout cas, attestée à partir du XVe siècle.

La charpente n’était pas visible comme elle l’est aujourd’hui : un plancher ménageait une aire de stockage supplémentaire.
Les greniers étaient reliés à un moulin. Ruiné, il a été remplacé en 1826 par une école de charité (2), construite sur les plans de l’architecte Louis François. C’est l’actuel bâtiment de service. Dans les caves était conservé le produit des nom- breuses vignes de l’hôpital.

Une source s’écoulant sur les parois, réunie en deux conduites principales, fait office de chasse d’eau en se déversant dans les canalisations vers la Maine.

 

 

En 1561, le projet de faire des greniers un lieu de prêche protestant n’aboutit pas. Les grandes épi- démies de peste obligent à y loger des malades, spécialement en 1598. Lors de la visite de Mérimée à Angers en 1836, le bâtiment sert tou- jours de grenier à blé, fonction qu’il garde partiel- lement jusqu’à l’ouverture du nouvel hôpital en 1865. Classés monuments historiques en 1862, les bâtiments sont achetés par la Ville en 1868, mais la commission des hospices les avait entre- temps loués à un brasseur. Les caves restent ainsi à usage de brasserie jusqu’à leur transformation en musée du vin, de 1932 à 1990. Depuis 1954, les greniers sont transformés en salle des fêtes. S’y déroulent de prestigieuses manifestations : la réception du colonel Glenn, premier astronaute américain (1966) ; le concert inaugural du nouvel Orchestre philharmonique des Pays de la Loire

(21 septembre 1971) ; le dixième anniversaire du jumelage entre Angers, Haarlem et Osnabrück (1974). Les caves accueillent les chevaliers du Sacavin d’Anjou, la plus ancienne confrérie vineuse de France, qui trouve là un cadre idéal
pour l’intronisation de ses nouveaux chevaliers. La restauration réalisée en 1992-1994 remet en valeur l’architecture des greniers tout en apportant les améliorations indispensables à l’accueil du public. Le pignon sud, sur la place du Tertre- Saint-Laurent, est avancé de quelques mètres, 2 pour inclure les espaces techniques.

Une collection d'art textile exceptionnelle

Le Musée Jean Lurçat et de la tapisserie contemporaine

Le musée se situe dans le bâtiment de l’ancien logement des sœurs du XVIIIe siècle (20). Cette extension du musée a ouvert en 1986. Il présente dans un parcours chronologique l’histoire de la tapisserie et de l’art textile des années 1930 jusqu’aux recherches les plus contemporaines. Les très importantes donations Jean Lurçat, Thomas Gleb, Josep Grau-Garriga et plus récemment de Patrice Hugues et Yves Millecamps ponctuent le parcours et constituent le noyau de la collection.  Les premières salles sont consacrées à l’œuvre peinte et tissée de Jean Lurçat et aux débuts du mouvement de la « Renaissance » de la tapisserie française d’après-guerre avec des artistes comme Marcel Gromaire ou Marc Saint-Saëns ou Picart le Doux.

Dans les années 1950-1960, le mouvement se poursuit avec Mario Prassinos, Michel Tourlière, André Borderie, Robert Wogensky, Mathieu Matégot, Jacques Lagrange, Dom Robert ou Yves Millecamps. Vient ensuite la salle consacrée à l’œuvre de Thomas Gleb (1912-1991). Ses tapisseries blanches dont la grammaire tissée a été mise au point par Pierre Daquin, sont très significatives du mouvement de la « Nouvelle tapisserie » en France et de l’apparition d’une véritable interprétation tissée.
Les dernières salles sont consacrées aux grands noms des artistes du mouvement de la « Nouvelle tapisserie » : Pierre Daquin, Patrice Hugues, Jagoda Buic, Olga de Amaral, Magdalena Abakanowicz, Josep Grau-Garriga... Sa donation permet de présenter des œuvres monumentales qui rendent compte de la liberté de son expression tissée, très gestuelle, aux volumes généreux.

Enfin un espace est consacré aux oeuvres plus récentes d’artistes comme Artémis, Françoise Giannesini, Marie-Rose Lortet, Simone Pheulpin, Marie-Noëlle Fontan, Fanny Viollet etc. Ce panorama textile est complété par la présentation de mini-textiles dont le concours est organisé par le musée depuis 1993 ; plus d’une centaine de « petites » œuvres ont ainsi été acquises et permettent de donner une vision très actuelle de l’art textile.

Découvrez l’ancien hôpital Saint-Jean

Actuel Musée Jean-Lurçat et de la tapisserie contemporaine

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