Un palais pour l'évêque

Le palais épiscopal, avant d’être la demeure de l’évêque à proximité immédiate de la cathédrale, symbolise d’abord le pouvoir du prélat, tant temporel que spirituel, d’où le caractère particulièrement monumental de l'édifice. Cependant, le terme palais, communément employé, n’était pas celui du Moyen Âge qui utilisait l’appellation plus générique de domus (maison).

Une architecture en tau

À Angers, la résidence de l’évêque est attestée en ces lieux depuis le IXe siècle, suite à un échange de terrain avec le comte d’Anjou. Le palais episcopal est reconstruit sous l’épiscopat d’Ulger qui s’inspire du palais archiépiscopal du Tau à Reims qu’il a découvert en 1131 lors d’un concile et du sacre de Louis VII. Cette forme en T évoque la forme des premiers bâtons pastoraux. Le palais épiscopal d’Angers compte parmi les plus exceptionnels témoignages de l’architecture civile de cette époque.

Cette demeure prend place sur un site rocheux et contraint entre la cathédrale et l’enceinte du Bas-Empire, sur laquelle elle s’appuie et dont elle réutilise une tour rue Montault.

À l’origine, l’architecture du palais s’organisait principalement en ces deux ailes en tau, précédée d’une cour ouvrant sur la rue du Chanoine-Urseau. Avec les transformations menées au XIXe siècle, une seconde cour est créée rue de l’Oisellerie. La connaissance de la distribution globale du palais du XIIe siècle reste incomplète. Les lieux où s’exerçaient les fonctions administratives ne sont plus identifiables, tout comme le positionnement des appartements. Il est certain que le palais épiscopal privilégie, dès ses origines, la fonction d’apparat au dépend de la fonction d’habitation. En effet, les évêques, dès le XIIIe siècle, délaissent le plus souvent le palais au profit de leur château épiscopal d’Éventard, au nord-est d’Angers (sur la commune d’Écouflant).

Une organisation hiérarchisée

La structure et la fonction par niveaux sont caractéristiques des grandes résidences médiévales, laïques ou religieuses. Au palais épiscopal, tout comme dans les palais laïcs, deux niveaux sont bien distincts: le premier est réservé au personnel subalterne et à l’activité de service tandis que les espaces de représentation se situent au premier étage. À ce niveau, une citation gravée à l’envers sur un lavabo datant du XIIe siècle est explicite: "Que viennent le clerc et le chevalier; ailleurs se tient le commun, car le lieu supérieur convient à ceux-là et le lieu le plus bas à ceux-ci."

Les salles basses

Au rez-de-chaussée se trouvent les deux salles situées à la perpendiculaire l’une de l’autre. Chacune est composée de deux vaisseaux voûtés d’arêtes soutenus par une file de robustes colonnes ornées de chapiteaux végétaux. La salle située au nord était dévolue aux écuries, celle au sud nommée "salle basse" ou "sallecte basse", destinée à la domesticité et à des cérémonies secondaires.

La salle haut ou la salle synodale

Au Moyen Âge, c’était "grande salle", camera magna ou "salle de l’évêque", aula episcopalis. On y accédait par un escalier droit extérieur, remplacé sous l’épiscopat de François de Rohan après 1506, par un monumental escalier, de style gothique finissant.

Espace majeur de la représentation du pouvoir, la grande salle du palais était constituée de deux longs vaisseaux disposés en tau, se superposant aux deux salles basses. Ces deux vaisseaux de 26 et 21 mètres de long étaient reliés par une triple arcade aujourd’hui encore visible dans un couloir du troisième niveau.

Cette salle était couverte d’une charpente apparente, comme la plupart des salles médiévales (palais du Tau à Reims, palais de la Cité à Paris, salle des États au château de Blois, salle comtale du château et salle des Halles à Angers). Elle est plafonnée dès le XVe siècle pour l’aménagement d’appartements. Le décor peint qui orne aujourd’hui la salle est une création du XIXe siècle, le plafond du XVe siècle tout comme la charpente médiévale devaient eux aussi être ornés de peintures. Elle servait à de multiples usages: cérémonies, banquets, réunions épiscopales ou convocations synodales qui lui donnent son appellation de salle synodale à partir du XVIIIe siècle.

Au XVIIe siècle, le vaisseau nord de la salle en tau est démembré, divisé tout à la fois en plan et en élévation: six pièces sont ainsi aménagées sur deux niveaux, pour rendre l’édifice plus habitable.

Un palais roman

Le palais épiscopal correspond à la période la plus aboutie et décorative de l’art roman angevin. Dans la salle basse du commun, les colonnes et chapiteaux sont authentiques (dans la salle sud). Ces derniers, taillés dans le tuffeau ou dans un grossier calcaire coquillier, relèvent d’une facture ligérienne par leur décor végétal plaqué.

D’origine pour un certain nombre d’entre eux, les chapiteaux intérieurs de la salle synodale constituent un remarquable répertoire de la sculpture angevine ornementale et figurée du deuxième tiers du XIIe siècle, d’influence aquitaine. Les baies sont les lieux d’une abondante ornementation. Chaque piédroit est souligné d’une ou deux colonnes à chapiteau. Les rouleaux et archivoltes sont ornés de décors
géométriques et feuillagés.

La transformation du XIXe siècle, un pastiche néo-roman

La rénovation du palais médiéval

À partir de 1841, le premier désir de Monseigneur Angebault, évêque d’Angers, fut de rénover l’ancienne salle synodale. Après de nombreux projets invalidés, l’architecte diocésain Charles Joly-Leterme, proche de Viollet-le-Duc, est choisi. Ce nouveau restaurateur s’attache à restaurer la salle synodale dans un état aussi proche que possible de celui du XIIe siècle dans un style qualifié de néo-roman. Le grand chantier de restauration générale est engagé en 1860 pour ne s’arrêter qu’à la fin du siècle.

Les façades extérieures sont enjolivées. À l’intérieur, les portes et les grandes baies avec leurs chapiteaux, cachées derrière les boiseries du XVIIe siècle (sauf la claire-voie) réapparaissent. Par ailleurs, la composition du sol et la décoration peinte sont largement reconstituées en s’inspirant de modèles angevins et poitevins variés.

Une création néo-romane exceptionnelle

À hauteur de la salle synodale, les trois pièces de réception, communiquant avec cette dernière par la pièce du milieu, font l’objet d’un traitement somptueux pour l’évêque Freppel dans les années 1870. Le décor de style néo-roman est directement inspiré de la salle synodale.

La pièce centrale, la moins décorée, fait office d’antichambre ou salle de billard, celle à l’est a pour usage la salle à manger, reconnaissable à sa grande niche abritant le poêle, et celle de l’ouest est affectée au salon d’honneur.

Cette dernière est naturellement la plus ornée et se pare d’une cheminée monumentale aux armes de l’évêque Freppel, d’azur à une abeille d’or, qu’entoure sa devise, "Sponte favos, aegre spicula" ("Je donne volontiers mon miel, et ne sors mon dard que contraint").

Sans rapport avec la structure habituelle des cheminées du XIIe siècle à hotte semi-circulaire, cette cheminée combine et interprète librement des formes et motifs romans, colonnes à chapiteaux, hotte flanquée d’une archivolte qui renvoie à un portail d’église, corniche à modillons sculptés, l’ensemble dans le style exubérant de la sculpture angevine du XIIe siècle, sans compter les entrelacs du linteau qui rappellent l’art de l’enluminure.

Une construction moderne

Le salon d’honneur de l’évêque Freppel jouxte une aile en retour entièrement moderne traitée à l’identique des élévations anciennes restaurées, faisant l’angle des rues du Chanoine-Urseau et de
l’Oisellerie. Cette construction abrite notamment les appartements privés de l’évêque (les pièces au-dessus des salles de réception sont des chambres d’honneur). Un escalier monumental permet d’y accéder, tant depuis la cour principale que depuis celle de la rue de l’Oisellerie. Cet escalier rampe-sur-rampe, agrémenté encore d’un décor néo-roman de colonnes à chapiteaux et de culots figurés, retient surtout l’attention par le traitement du palier du bel étage: son élévation largement ouverte de quatre baies sur deux niveaux, embellies de balustrades à arcs en plein-cintre entrecroisés, est le digne accompagnement du salon d’honneur qui lui fait face. Le bâtiment est classé Monument historique en 1907.

Un musée de l'ancien évêché

Dans le même temps que se réalise la restauration de l’édifice, germe le projet d’un musée diocésain d’art religieux, exposant notamment des tapisseries de la cathédrale. D’abord installé dans les locaux de la psalette (école de chant), rue Saint-Aignan, il gagne ensuite le palais épiscopal en 1868 et est inauguré en 1890 dans la salle de la bibliothèque, au-dessus de la salle synodale.

Après la séparation de l’Église et de l’État en 1905, la résidence épiscopale n’est plus affectée au diocèse. Les services de l’évêché gagnent la place de l’Esvière, ce qui permet un redéploiement des oeuvres d’art, sans être particulièrement satisfaisant, les lieux se prêtant médiocrement à cet usage.

En 1910, la salle synodale et les pièces d’apparat de l’évêque Freppel reçoivent, dans une muséographie chargée masquant fortement l’architecture, des collections où se reconnaissent des pièces de la tenture de l’Apocalypse et celles des anges portant les instruments de la Passion. Ce musée ferme en 1955, suite à la réaffectation de l’édifice à l’évêché, et les oeuvres sont alors réparties entre le château et le trésor de la cathédrale.

Olivier Biguet, conservateur du patrimoine, Angers Patrimoines, Ville d’Angers
Émeric Chartrain, assistant documentaire, Angers Patrimoines, Ville d’Angers