Très développée dans l’habitat marchand des XVe et XVIe siècles dont elle constituait un trait identitaire, la construction en pan de bois ne compte plus à Angers qu’une quarantaine d’édifices. Les importants travaux de modernisation du centre-ville à partir du Second Empire, avec l’élargissement et la régularisation en grand nombre des rues, ont entraîné la disparition de la plupart de ces maisons.

Ainsi, dans le plan d’alignement de la ville de 1844, quelque trois cents maisons présentaient encore des élévations sur rue en pan de bois, le long des grands axes commerçants où se concentrait l’essentiel de ces édifices, ainsi que dans la basse ville, de la rue de la Poissonnerie à la rue Saint-
Laud. Cependant, grâce à une iconographie ancienne abondante, nous pouvons apprécier au total près d’une centaine de façades. Pour autant, cette faiblesse numérique est compensée par une longévité et une richesse typologique que ne connaît aucune autre ville de l’aire culturelle du Val-de-Loire, telles Tours, Blois ou Bourges.

Nous pouvons ainsi suivre à Angers une histoire de la construction en bois dès les premières années du XVe siècle et jusqu’à l’orée du XVIIe siècle, avec notamment de magnifiques exemples de la seconde Renaissance. Cette classification a mis en valeur la différence d’occupation des deux rives de la Maine: un centre-ville empreint de diversité, qui regroupe les plus beaux colombages, et une rive d’outre-Maine plus homogène dans sa rusticité, à hauteur de la rue Beaurepaire et de la place de la Laiterie, où peut être observé le dernier ensemble d’importance. L’étude sur ce type de construction a bénéficié au cours des années 2010 de l’apport de la dendrochronologie, la datation par les cernes des bois, qui a été d’un apport considérable pour appréhender l’évolution de la mise en oeuvre des maisons en pan de bois, des plus rustiques aux plus savantes, en passant par des formes innovantes dans la seconde moitié du XVe siècle. Cette science a permis notamment de dater davantage de maisons pour le XVe siècle et d’observer que celles portant un décor sculpté n’apparaissaient pas avant la fin de ce siècle, avec la maison d’Adam, la plus ancienne d’entre elles.

Le pan de bois "rustique"

Trois grandes typologies de pan de bois se dessinent au cours de ces deux siècles. La plus ancienne est aussi logiquement la plus simple. Elle se caractérise structurellement dans sa première phase par un encorbellement sur solives, éventuellement renforcé par des poteaux à tête élargie aux angles, et par un motif de colombage à grandes croix de Saint-André de la hauteur de chacun des étages.

Cette combinaison est indéniablement un héritage médiéval, bien que nous n’ayons aucun témoignage sur l’habitat marchand des siècles antérieurs. La maison de la chapelle de Landemore (17, rue Saint-Aignan), dans la Cité, construite pour un chapelain, est le plus ancien logis de ce type, dont l’abattage des bois date de la saison froide automne-hiver 1399-1400 (la mise en oeuvre s’opère immédiatement dans la saison chaude suivante, printemps-été).

Deux autres demeures ont été aussi datées précocement dans le premier quart du XVe siècle, l’hôtel Sabart (11-17, place de la Laiterie, 1406) et la maison Jean-Chaillou (59, rue Beaurepaire, 1424). Au-delà de leur gabarit respectif, un vaste hôtel pour l’un, une étroite maison d’épicier pour l’autre, ces deux édifices constituent l’archétype du pan de bois angevin dans le courant du XVe siècle. On peut supposer que ce duo "solives et croix" a subsisté durant la première moitié du XVIe siècle jusqu’à la disparition des encorbellements, mais aucune datation par dendrochronologie n’a pu être obtenue pour une phase finale. La suppression des saillies, imposée par la municipalité en 1541, coïncide avec un appauvrissement de l’ossature. La façade désormais plate se compose d’une simple grille de poteaux raidie par une décharge. La maison au 9, place de la Laiterie, offre le premier exemple attesté, au cours des années 1540, avec encore le vestige d’une unique croix de Saint-André. Celle au 14, rue Lionnaise, autour de 1600, est la dernière connue avant la disparition de ces façades au profit de la pierre, notamment du tuffeau, comme à la maison du 16, rue Beaurepaire, dès la première décennie du XVIIe siècle.

Les innovations de la seconde moitié du XVe siècle

Deux autres types d’encorbellement apparaissent au milieu du XVe siècle, parallèlement à une diversification des colombages. Le surplomb à entretoise, attesté en 1460 au logis dit "la Tour" ou du "Croissant" (7, rue des Filles-Dieu) est une structure mixte mêlant le système horizontal sur solives et le système vertical des poteaux à tête élargie. Mais seules quatre solives sont saillantes, portées par autant de robustes poteaux. Les autres solives n’ont plus de rôle porteur de la sablière haute, et sont masquées par une pièce formant placage; celle-ci, l’entretoise, s’intercale entre les sablières de plancher et de chambrée, l’ensemble amplement mouluré. C’est le début d’un souci esthétique qui ira grandissant, d’autant que les poteaux qui portent les solives saillantes font aussi l’objet de moulurations. Ces maisons sont peu nombreuses à Angers (il n’en subsiste que quatre), concurrencées par une autre formule mieux représentée, le surplomb sur les seuls poteaux à tête élargie. L’encorbellement est alors uniquement assuré par ces poteaux, aux angles et éventuellement de part et d’autre des fenêtres, et les sablières basse et haute sont désormais jointives; les solives n’ont plus aucun rôle porteur et, invisibles, viennent buter contre la sablière de chambrée. Si la grande croix de Saint-André se maintient encore, ainsi au logis du Croissant ou à la maison dite "la Petite-Notre-Dame" (8, rue Corneille, 1452), cette dernière présentant pour la première fois ce second type d’encorbellement, les colombages participent aussi des nouvelles recherches: des motifs en chevrons (57, rue Beaurepaire; 13, rue des Poêliers), des décharges superposées (2, rue Lenepveu), des croix de Saint-André superposées (14, rue Saint-Aignan, 1516 qui présente aussi le motif en chevrons); plus rare, le "faux losange", unique losange central obtenu par le croisement de quatre décharges affrontées (9, rue de l’Oisellerie).

Un premier âge d'or gothique à la charnière des XVe et XVIe siècles

Cet âge d’or se situe à la charnière des XVe et XVIe siècles, à travers un nouveau modèle combinant le surplomb sur poteaux à tête élargie élaboré précédemment et perfectionné et le colombage à "louzanges", selon le terme usité dans les marchés de charpenterie de l’époque. Cette formule, apparue vers 1491 avec la célèbre maison d’Adam, 1, place Sainte-Croix, construite très vraisemblablement pour un apothicaire, constitue dès lors le signe de reconnaissance des plus belles maisons de la ville, à l’image de la maison au 7, rue de l’Oisellerie (1515) ou de la maison Michel-Desprez (21, rue Saint-Laud, décennie 1510). Les pièces de bois, tant verticales qu’horizontales, gagnent en section pour porter les motifs sculptés, colonnes et colonnettes principalement torsadées et figures sur les poteaux, et recevoir les larges moulurations des sablières. Les losanges qui tapissent les façades, par le nombre de pièces de bois nécessaires, sont aussi un facteur d’ostentation.

La sculpture est le nouvel apport conséquent et immédiatement perceptible de ces maisons, d’importance évidemment variable selon la richesse et l’ambition des propriétaires. La profusion qui caractérise la maison d’Adam, par ailleurs d’un gabarit exceptionnel, est restée de fait sans équivalent, tant sur un plan quantitatif que par la diversité des représentations sculptées. Le pignon sur rue, ou sa variante, la lucarne-pignon monumentale (comme aux maisons des rues de l’Oisellerie et Saint-Laud) est un dernier trait essentiel de ces riches maisons, alors qu’auparavant nombre d’entre elles présentaient un gouttereau sur la voie.

La sculpture de la Maison d'Adam

Une quarantaine de figures occupent chaque intersection entre poteaux et sablières qui mettent d’autant en valeur la puissance de la structure générale. Il ne faut pas chercher un programme cohérent, mais au contraire un ensemble ouvert de sculptures qui peuvent fortement contraster entre elles, à l’image de la société médiévale elle-même. Nombre d’entre elles sont cependant modernes ou en partie refaites, au fil des différentes altérations et restaurations.

Adam (qui a conféré l’appellation de la maison) et Ève, aujourd’hui disparus, peuvent être interprétés comme une illustration d’un couple marié bien enraciné dans sa demeure, l’Arbre de Vie avec ses fruits mûrs apparaissant comme un signe de prospérité de cette union. L’emplacement de ce groupe sculpté au poteau cornier d’angle du rez-de-chaussée qui porte fortement la maison ne semble pas dès lors fortuit. Le motif est redoublé par le couple amoureux situé juste à côté, établissant une descendance contemporaine depuis le couple primordial.

Les sculptures mêlent sujets religieux qui ont pour thème général la lutte du bien contre le mal, saint Georges terrassant le dragon, Samson et le lion (la victoire sur les épreuves de l’existence), le phénix (symbole de résurrection et d’immortalité), le pélican nourrissant ses petits de sa propre chair (la rédemption), et sujets profanes dont le fameux "Tricouillard". Celui-ci, pour l’époque, ne présentait aucune connotation sexuelle: le geste de montrer ses fesses était depuis des siècles une façon imagée de chasser l’esprit du mal et permettrait de rattacher finalement cette figure vulgaire au corpus des représentations sacrées précédentes. Par ailleurs, dans de nombreuses enluminures médiévales, les médecins sont représentés focalisant sur les fesses pour soigner les crises d’hémorroïdes. Cette représentation de Tricouillard suggérerait ainsi un double sens et renforcerait d’autant l’attribution à un apothicaire la construction de la maison d’Adam. Elle apparaîtrait comme une figuration parlante de la profession du propriétaire qui serait ici condensée dans cette unique image, sans la figuration du médecin lui-même.

Deux sculptures attirent encore particulièrement l’attention, les joueurs de hautbois et de cornemuse, remarquablement individualisés. Le thème de la musique, comme celui voisin de la danse, est récurrent au Moyen Âge et peut être également ambivalent, de caractère profane ou sacré. Très en vue, encadrant la porte d’entrée, ils représentent, avec le couple amoureux à côté, la vie séculière, en premier lieu celle des propriétaires, et dénotent leurs rang et statut social élevé dans l’espace urbain: ces musiciens pouvaient signifier la capacité des bourgeois à commanditer les fêtes et les jeux musicaux de rue, les mystères, voire à y participer, les acteurs étaient alors très largement non-professionnels.

Le second âge d'une longue renaissance

Les panneaux losangés apparus à la maison d’Adam se poursuivent à la Renaissance et sont un élément fédérateur jusqu’à la fin du XVIe siècle. Structurellement, la nouveauté réside dans la suppression des encorbellements au profit de façades à l’aplomb. L’édification de l’hôtel de Pincé vers 1530 et l’interdiction municipale des saillies en 1541, qui semble avoir été bien suivie, n’ont pu que favoriser le renouvellement stylistique et le passage du gothique finissant à la première Renaissance et l’adoption de motifs à l’antique. Plusieurs maisons fournissent des repères, comme celle au 62, rue Baudrière (fin de la décennie 1540) ou la maison René-Ligier, 15, rue Saint-Laud (1556), avec des pilastres et/ou des colonnettes à cannelures, surmontés de chapiteaux, d’abord fantaisistes puis plus respectueux des ordres antiques (maison René-Ligier), cette dernière avec des chapiteaux doriques et ioniques bien reconnaissables. On peut encore citer la maison au 4, rue Saint-Laud, dotée de pilastres à motifs géométriques, triangles et losanges, caractéristiques de cette période. Bien que datée aussi de 1556, la maison dite "la Cloche" (9, rue des Poêliers) montre une tout autre voie avec l’apparition précoce d’une facture maniériste propre à la seconde Renaissance, qui se développera à partir des années 1570. L’évolution stylistique n’est donc pas nécessairement linéaire et des stylistiques différentes peuvent être parfaitement contemporaines. Au premier étage de cette maison, la structure se complexifie, reprenant le double cordon observable à l’hôtel de Pincé: les lignes horizontales propres à la Renaissance sont affirmées par l’introduction d’une sablière supplémentaire à l’appui des fenêtres, l’étage étant divisé en deux registres, un niveau bas à petites croix de Saint-André portant les panneaux losangés du niveau supérieur. Cette déclinaison décorative de la croix et du losange atteint d’emblée sa perfection, conjuguée à un décor ornemental à l’antique et de supports anthropomorphes, atlantes et cariatides, courant sur toute la hauteur des poteaux.

Ce nouveau style prévaut pour les riches maisons des trois dernières décennies du XVIe siècle, dont il ne nous reste plus que trois témoins, hors celle précitée: la maison Tafoureau-Michel (6, rue Pocquet-de-Livonnières, 1572), la maison de l’apothicaire Simon Poisson (67, rue Beaurepaire, 1582) et celle au 5, rue de l’Oisellerie, 158-, le dernier chiffre étant illisible). Toutes ces maisons ont la spécificité de porter la date de construction sur la façade. La maison Simon-Poisson offre la singularité d’un programme de représentation de quatre vertus sur les poteaux corniers, Science et Magnificence, Amitié et Libéralité, à la gloire du propriétaire. Ces supports anthropomorphes, morceau de bravoure de ces maisons, sont aussi le lieu privilégié de figures hybrides, mi-humaines, mi-fantastiques. La maison du marchand poêlier Mathurin Aveline, communément dénommée "le logis Girard", datée de 1596, autrefois sur la place Romain, était la plus tardive et la plus exceptionnelle de ces maisons, large de quelques onze mètres et haute de trois étages sous un immense pignon; elle apparaissait à la fin du XVIe siècle comme le pendant de la maison d’Adam, construite un siècle plus tôt. Sa profusion décorative était pareillement en proportion, où représentations sacrées, saints patrons des propriétaires, figures séculières et monstrueuses, habillaient tous les poteaux corniers et d’huisserie.

Olivier Biguet, conservateur du patrimoine, chercheur de l’inventaire