La fondation de l'abbaye Saint-Aubin

Vers 556, une première église de fondation royale est consacrée par saint Germain, évêque de Paris. Elle accueille la dépouille de l’évêque Aubin mort en 550. Située en bordure d’une grande nécropole, elle fait partie intégrante d’un ensemble d’églises paléochrétiennes dont seule subsiste la collégiale Saint-Martin.

La présence d’une communauté de chanoines y est attestée dès la première moitié du VIIe siècle. L’abbaye est réformée en 966 par le comte d’Anjou Geoffroy Grisonelle qui y fait venir des moines bénédictins. Les bâtiments sont détruits par un incendie en 1032 et reconstruits au milieu du XIe siècle.

La naissance du clocher

Au XIIe siècle, l’abbaye connait son apogée: le nombre accru des moines (ils sont 105 en 1082) ainsi que le changement de goût pour une architecture plus somptuaire conduisent les abbés à reconstruire. L’église et les bâtiments conventuels sont rénovés tandis que la tour-clocher, ou tour de cloches, est commencée sous l’abbatiat de Robert de La Tour Landry (1127-1153) et probablement achevée vers 1170-1180.

Le plan dit "de Meaux" daté de 1680 et préparé par la congrégation de Saint-Maur pour la rénovation de ses abbayes, donne un aperçu des bâtiments médiévaux, en particulier de la tour Saint-Aubin. Celle-ci fait partie d’une série de clochers isolés aussi bien de l’église que du couvent, que l’on trouve dans la basse vallée de la Loire. Il en existe d’autres exemples à Saint-Nicolas d’Angers, Saint-Florent de Saumur, Marmoutier et la Trinité de Vendôme. La tour contenait les quatre cloches de l’abbé tandis que les moines n’avaient qu’un clocher à la croisée du transept de l’église abbatiale.

Avec ses 54 m de hauteur, sa signification d’affirmation de la puissance féodale de l’abbé, telle un donjon, paraît essentielle même si elle a eu un rôle de clocher: au XIIe siècle, l’abbé est le second personnage ecclésiastique angevin après l’évêque. Elle pouvait également servir de lieu fortifié comme en témoignent meurtrières et puits.

Un clocher roman

La structure de forteresse se retrouve dans la solidité des murs presque aveugles sur les 22 premiers mètres de hauteur: ils mesurent 2,5 m d’épaisseur et sont flanqués de contreforts de 2,70 m de large pour les angles et de 1,50 m au centre. Cette tour, composée en moyen appareil de tuffeau, est donc très solide, conçue pour résister au balancement des plus grosses cloches.

La tour comporte une salle basse voûtée d’arête au rez-de-chaussée et une très haute salle de près de 15 m couverte d’une coupole sur pendentifs à nervure pénétrante. Cette salle, largement éclairée et bien voûtée, constituait l’étage noble. Enfin des arcs croisés formaient un carré au-dessus de l’oculus central de la coupole et servaient d’appui au beffroi de bois qui supportait les cloches. On suppose qu’il était prévu une grande flèche de maçonnerie au sommet du beffroi mais elle n’a jamais été réalisée. Par contre, quatre tourelles d’angle à flèches de maçonnerie enveloppent la partie supérieure de la tour.

En 1426, à la demande de Yolande d’Aragon, un lanternon désigné comme "une échauguette de charpenterie", destiné à la surveillance, est installé au sommet de la tour. Il est probablement refait en 1541, date d’un marché de charpente pour la réparation "du beffroy". Cette construction a été supprimée en 1823. La sculpture, en particulier celle des chapiteaux, fait apparaître l’importance d’une tradition angevine. Sur les douze chapiteaux de la coupole, dix sont de modèle angevin-saumurois à décor rythmé. Les motifs terminés en volutes y sont asymétriques comme à Cunault. Les tailloirs, ornés de souples rinceaux ou de palmettes alternés avec des éventails, présentent la même facture opulente.

Une tour aux multiples usages

Sa hauteur, qui en fait le clocher le plus élevé de la province après celui de la cathédrale, la fait choisir en 1744 par Cassini de Thury et Maroldi pour l’établissement de leur carte. L’abbaye est évacuée en 1790 et les cloches de la tour sont descendues en 1792. Cependant, cette dernière conserve toujours une utilité: le 3 décembre 1793, l’opticien Pédralio, posté au sommet avec ses instruments, signale l’arrivée des troupes vendéennes venues assiéger la ville.

L’abbaye est fortement détériorée entre 1792 et 1796 puis devient le siège de la Préfecture en 1800: l’église est démolie afin de dégager la cour d’honneur. Dans les années 1830, l’enclos abbatial est percé par la rue des Lices.

La tour Saint-Aubin échappe à la démolition: elle est cédée en 1822 au marchand plombier Voisin, qui la transforme en fabrique de plombs de chasse à charge de l’entretenir pendant trente ans. Le clocheton et la partie supérieure des tourelles d’angle disparaissent en 1823 probablement par l’intervention de Mathurin Binet, à l’occasion d’un projet non réalisé de couverture à faibles pentes avec plate-forme d’observatoire.

Classée en 1862, la tour est lourdement restaurée en 1904-1905 par Lucien Magne, architecte des monuments historiques.

Emeric Chartrain, Assistant documentaire, Ville d’Angers, Angers Patrimoines.