L’hôtel de Tinténiac domine majestueusement la place du Tertre, sur les hauteurs nord du quartier de la Doutre, territoire résidentiel recherché pour ses qualités champêtres dès le XIIe siècle, à proximité de la ville alors en pleine expansion. Cet édifice est construit entre 1498 et 1502 pour un membre de la grande famille bretonne des Tinténiac, dont une branche cadette est installée en Anjou depuis le XIVe siècle. Son commanditaire, le prêtre Jean de Tinténiac, est alors chapelain de la chapelle du château familial du Percher (commune de Saint-Martinaux-Bois au nord de l’Anjou), et devient chanoine et doyen du chapitre de la collégiale Saint-Martin.

De grandes familles angevines

La propriété se compose à l’origine de deux logis indépendants, l’hôtel de Tinténiac proprement dit, désigné dans les actes anciens comme le "grand corps de logis ou de maison", et un petit logis adjacent (5-7, rue Malsou). Mais après la mort de Pierre de Tinténiac, neveu de Jean, ce dernier logis est détaché du fonds initial. C’est seulement dans le troisième quart du XVIe siècle (entre 1554 et 1578), que la propriété prend la superficie qu’on lui connaît aujourd’hui par l’acquisition d’une maison et d’un jardin au revers de l’hôtel. Au milieu du XVIIe siècle, l’hôtel de Tinténiac appartient à Jacques Grandet de la Plesse, conseiller du roi et lieutenant en la maréchaussée d’Anjou dont les héritiers possèdent les lieux jusqu’au milieu du siècle suivant. Avec cette famille, la propriété connait sa plus grande extension en recouvrant le petit logis de Tinténiac.

Celui-ci est de nouveau séparé, cette fois définitivement, lors de la vente de l’hôtel en 1743 à la famille de Dieusie, l’une des grandes familles du Segréen. En 1825, l’hôtel est donné à l’Évêché qui le vend trente ans plus tard à la congrégation des Soeurs de l’Instruction chrétienne de Saint-Gildas-des-Bois: une école investit ainsi l’édifice pendant plus d’un siècle, qui ne retrouve sa fonction d’habitation qu’en 1975.

Une architecture du gothique finissant

En retrait de la rue et protégé par un haut mur de clôture, l’hôtel de Tinténiac est à l’origine entièrement tourné vers sa cour d’entrée. C’est seulement après l’accroissement de propriété au XVIe siècle que l’édifice prend la forme de l’hôtel entre cour et jardin. Comme souvent à Angers, du fait de l’exiguïté des terrains disponibles, le corps principal est perpendiculaire à la rue. Une imposante tour d’escalier en vis hors-oeuvre le flanque en son milieu. Elle est le symbole par excellence de l’habitat aristocratique, signe de pouvoir et de prestige, selon un parti qui perdure jusqu’à la fin de la Renaissance.

Son couronnement par une chambre haute à pignon (pourvue d’une cheminée), est mis en valeur par le passage d’un plan polygonal à un plan quadrangulaire au moyen de trompes* largement moulurées, ce qui en accentue le caractère ostentatoire. Deux travées de grandes croisées de pierre à profondes moulurations prismatiques l’encadrent, mais celle de droite est transformée au XVIIIe siècle lorsque la famille de Dieusie crée, en relation avec un salon d’étage, un élégant balcon d’angle de style Louis XV et de nouvelles ouvertures dont une porte-fenêtre couverte d’une savante arrière-voussure.

La demeure de Jean de Tinténiac comprenait, au rez-de-chaussée du corps principal, la salle et une seconde pièce plus petite (sallette, étude ou chambre), toutes deux directement accessibles de l’escalier en vis et complétées par des pièces de services dans un petit corps en retour sur la cour, face au mur de clôture. L’étage accueillait un appartement dont les annexes, avec peut-être un oratoire, occupaient ce corps secondaire.

Une extension pittoresque du XVIIe siècle

L’aile d’habitation entre rue et jardin, ajoutée au XVIIe siècle au revers du grand corps de logis, est attribuable à Jacques Grandet de la Plesse, le plus éminent propriétaire de cette époque. Elle se signale particulièrement par sa couverture en carène, forme originale et rare à Angers, qu’agrémente de surcroît une petite tourelle d’angle en surplomb. Un salon entièrement lambrissé en occupe le rez-de-chaussée, largement éclairé et ouvert sur le jardin. Cette recherche de confort et d’embellissement se retrouve encore au siècle suivant par la création du salon d’étage précité et la mise en place de nouvelles cheminées.

L’altération du temps et les changements d’usage ont inévitablement dégradé l’hôtel: l’installation de l’école au XIXe siècle avait notamment transformé les volumes intérieurs. Les propriétaires actuels, dans les lieux depuis 1975, engagèrent une restauration exemplaire durant vingt-cinq ans: trois grandes campagnes ont été menées jusqu’en 1992, suivies d’interventions ponctuelles. L’une des priorités fut de rétablir aux façades sur cour du XVe siècle leur aspect primitif. Les fenêtres à meneaux et traverses ont été restituées et la porte d’entrée a retrouvé son emplacement initial sur la tour d’escalier. L’aile du XVIIe siècle, menaçant de s’écrouler, a fait l’objet d’un démontage complet de la façade sur jardin et de la charpente. Le portail originel a été découvert lors de la restauration du mur de clôture en 2001 et son cadre dégagé, aux côtés de la porte cochère du XVIIIe siècle, plus monumentale. 

 

Dominique Letellier-d’Espinose, chercheur
Olivier Biguet, conservateur du patrimoine, Angers Ville d’art et d’histoire, Ville d’Angers
Photos: Frédéric Chobard/Ville d'Angers