Publié le 22-01-2025
Territoire
Publié le 22-01-2025
Territoire
Dans la nuit du 19 au 20 janvier, une tempête venue de l'Ouest déferle sur l'Anjou. Gonflées par des précipitations intenses et continues depuis le début du mois, les eaux de la Sarthe, du Loir et de la Mayenne font sortir la Maine de son lit. À Angers, la Maine passe en trois jours de 2,75 m à 4,40 m.
Mardi 24 janvier. L'échelle de crue du pont de Verdun qui affichait la veille 4,40m affiche désormais 5,30m. C'est une certitude, l'eau monte, et vite. En sept jours, il est tombé autant de pluie que durant tout le mois de janvier 1993, soit 113 litres par mètres carrés. Les Angevins et les services de la Ville se tiennent en alerte. Une cellule de crise est mise en place.
Jeudi 26 janvier. La montée des eaux s’intensifie en amont de la Maine. On peut lire 5,77 mètres à l’échelle du pont de Verdun. Les services de la Ville décident d’inonder les voies sur berges pour sauvegarder la trémie. Les quartiers bas de la ville (La Doutre, Saint-Serge, Thiers-Boisnet) sont peu à peu gagnés par les eaux.
Vendredi 27 janvier. Ce vendredi encore, les records de pluies ont été battus. À Angers, la cote de la Maine dépasse les 6,30 m. Le pont de Verdun est totalement fermé, 200 passerelles sont installées dans les quartiers bas pour permettre de circuler à pied. Les habitants, en bonne partie privés d’électricité et de chauffage, sont évacués grâce aux camions de l’armée, aux bateaux des sapeurs-pompiers ou aux barques des agents municipaux mobilisés jours et nuits
Dimanche 29 janvier. Le pont Jean-Moulin est fermé, comme le pont de la Haute-Chaîne et le pont de Verdun. On ne circule plus que sur une file dans chaque sens sur le pont de la Basse-Chaîne, la moitié du pont étant réservée aux secours. Le pic de crue est atteint en fin d’après-midi, le niveau record de la Maine est passé à 6,66 mètres.
Lundi 30 janvier. C'est la nouvelle "crue du siècle". La Maine atteint 6,66 mètres au pont de Verdun, soit 3 cm de plus que la crue déjà spectaculaire de 1910. Mais l’optimisme renaît. La pluie a cessé depuis deux jours et la Maine commence à baisser. La décrue est amorcée. Il faut désormais nettoyer la ville, la débarrasser de ses pollutions et constater les dégâts chez les particuliers.
Retour en images sur une crue historique (cliquez sur chaque image pour l'agrandir).
Reportage sur la crue de 1995 issu d'images d'archives de la télévision locale TV10. (Crédits : Serca - TV10 / Ville d'Angers)
La longueur totale des passerelles installées pour circuler à pied dans la ville inondée.
La crue de 1995 a créé une situation sans précédent pour les services de la Ville comme pour les Angevins. Bien qu'habitués à gérer des niveaux d'eau élevés de la Maine, l'ampleur de l'inondation qu'a subie la ville du 24 janvier au 7 février 1995 a nécessité une organisation hors du commun. 200 agents se sont relayés sur le terrain à raison de 10 heures par jour. Témoignages.
L'eau qui monte exerce une pression sévère contre la trémie de Verdun. Pour éviter que l'ouvrage soit emporté par la crue, une solution s'impose : inonder la voie des berges.
"Les choses se sont encore aggravées le 25 janvier parce qu'en plus des inondations, c’est-à-dire l'apport d'eau des rivières, a commencé à se manifester un phénomène de remontée d'eau par les égouts pluviaux. L'eau qui avait de plus en plus de mal à s'écouler par les rivières a commencé à remonter par les bouches d'égout.
Assez vite, un problème est apparu. Il y avait à cette époque une seule trémie, c'était la trémie de Verdun qui avait été financé quelques années auparavant par la Ville. La grande trémie que vous connaissez aujourd'hui n'existait pas à cette époque. Évidemment, en période d'inondation, les trémies sont fragiles. Vous connaissez le principe d'Archimède : un grand volume immergé dans l'eau, s'il n'a pas à l'intérieur un poids équivalent à son poids s'il est rempli d'eau a tendance à se soulever.
La trémie donne des signes d'inquiétude. Il y a des ruissellements sur les périodes. À ce moment-là, il est décidé de l'immerger, de la remplir d'eau pour éviter qu'elle ne parte et que les choses s'aggravent.
Trémie de Verdun : fermée. Donc la voie de berges est quasiment inaccessible. D'où des gros problèmes de circulation qui s'ajoutent aux autres problèmes qui se multiplient sur le terrain."
Le pont de Verdun crée un effet de barrage sur la Maine. On observe une différence de niveau de 35 à 50 cm entre l'amont et l'aval du pont, en fonction du débit. La poussée exercée par l'eau engendre quelques inquiétudes.
"Premièrement, Il a fallu fermer le pont de Verdun à la circulation automobile. On pouvait encore y passer à pied mais impossible d'y passer en voiture. Deuxièmement, le 28 janvier on a pris la précaution de fermer à la circulation le pont de la Haute-Chaîne et même le pont Jean-Moulin, qui était un pont relativement récent. Ne restaient comme ponts que le pont de l'Atlantique qui dessert l'arrivée de Nantes et le pont de la Basse-Chaîne. Pourquoi le pont de la Basse-Chaîne ? Parce qu'il a été complètement refait après la guerre donc il était sur des bases solides. Contrairement au pont de Verdun qui a été reconstruit au milieu du19e siècle sur l'ancien pont qui avait, vous savez, des maisons, des commerces, etc. Donc il donnait des tas de signes de fragilité, des endroits où il s'affaissait, etc.
Le pont de Verdun d'une manière générale nous a donné des frayeurs épouvantables. Comme la crue était une crue d'amont qui venait de la Mayenne, de la Sarthe et du Loir mais pas de la Loire, il faisait office de barrage. L'eau montait, montait, montait. L'eau charriait des arbres morts, parfois des blocs. Notre grande crainte c'était que ces blocs jouent le rôle de bélier et fracturent le pont.
Le dimanche 29, il y a même une rumeur qui a circulé partout en ville. Parce qu'il y a un hélicoptère qui a survolé toute la zone inondée et les gens ont cru que se préparait l'explosion du pont du centre pour libérer le flot vers l'aval.
Donc cette rumeur a beaucoup circulé. Il a fallu la démentir évidemment puisqu'il n'en était pas question. Mais c'est vous dire que nous était très préoccupés par ce qui allait se passer au pont de Verdun."
Au plus fort de l'inondation, les extrémités des ponts sont inondées. L'entrée de l'hôpital elle-même a les pieds dans l'eau. Comment accéder à l'hôpital ?
“L'hôpital est sur la rive droite. L'essentiel de la ville est sur la rive gauche. Très vite, il a fallu prévoir la desserte de l'hôpital. On a donc bloqué, sur le pont de la Basse-Chaîne qui restait en service, deux voies de circulation réservées aux secours. Le reste des véhicules n'était pas autorisé. Et on a mis en place un système de transport pour les consultants, pour le personnel de l'hôpital avec des camions militaires, des camions du génie qui sont très hauts sur roues. On avait installé un débarcadère sur le boulevard Carnot, un peu au-dessus de la place Mitterrand et un autre sur le boulevard Daviers. Il y avait ces camions qui faisaient la navette, avec des militaires du génie qui étaient très contents de rendre service à la population. Ça a très bien fonctionné.”
Pour permettre aux habitants de circuler dans les zones inondées, les services de la ville ont installé 12 km de bastaings, 9 000 parpaings et 1200 barrières.
“On a mis en alerte la société des Fours à chaux d'Angers qui était une usine qui fabriquait des parpaings qui était à Saint-Serge - elle n'existe plus aujourd'hui elle a déménagé - pour qu'ils nous fabriquent des parpaings. Parce que le stock était limité. Donc a suivi ça. Des parpaings, des barrières parce que marcher sur des planches au milieu de l'eau... La planche bouge un peu, c'est très stressant. Quand on est jeunes, ça ne pose pas de problème. Mais à partir d'un certain âge c'est un peu stressant donc on mettait des barrières, vous savez ces barrières de fêtes et manifestations, pour servir un peu de guide.”
Le fioul s'échappe des cuves qui se trouvent dans les caves. Ce qui provoque des pollutions importantes dans la ville.
“À l'époque il y avait encore des maisons individuelles qui avaient des cuves à fuel dans les caves. Et ces cuves étant à moitié vides, à moitié pleines, se retrouvaient à se déplacer sous la poussée d'Archimède. Vous retrouviez dans les rues des grandes nappes de gasoil, de fioul. L'eau d'une inondation ce n'est pas propre. Vous vous retrouviez avec tous les déchets qui remontaient du côté de Saint-Serge. Ce n'est pas que de l'eau, c'est aussi beaucoup de pollution. L'eau remonte par les canalisations d'évacuation. Vous vous retrouvez avec des dégâts dans les maisons. Les planchers se sont soulevés à cause des cuves à fuel.”
“On est vraiment rentrés en action dans notre service concernant les pollutions puisqu'à l'époque il y avait beaucoup de chauffage au fioul. Donc les caves étaient inondées et le fioul ressortait. On travaillait avec une société pour aspirer le fioul. Par contre, on y allait pour mettre du produit absorbant dans les caves. On avait beaucoup de chantiers sur toute la ville. ”
Événement grand public sur les rivières et les inondations, “Au-delà des crues : récits de 1995 et d'aujourd'hui" raconte la crue du siècle à travers des photographies, des témoignages et des œuvres artistiques, samedi 1er février au centre de congrès Jean-Monnier à Angers.
Sur place, des parcours pour en savoir plus sur les inondations et comprendre le fonctionnement des rivières et des crues (pour tous les âges).
Deux sorties en bateau sur la Maine sont également prévues ainsi qu’une balade urbaine commentée sur la prise en compte du risque d’inondation dans l’aménagement du territoire. Conférences et tables-rondes complètent le programme.
Consulter toute la programmation, Ouvre une nouvelle fenêtre
Les témoignages des agents de la ville et de la direction départementale de l'équipement sont issus du film La mémoire des inondations sur les basses vallées angevines réalisé par des étudiants de l'Université d'Angers - Esthua et le Syndicat mixte des basses vallées angevines et de la Romme. Il sera visible dans son intégralité lors de la journée de commémoration du 1er février au centre de congrès, dans l'espace Flots'rilèges (niveau n-2).
En ayant établi une référence centennale, la crue de 1995 constitue aujourd'hui le mètre-étalon des projets d'aménagement, dès lors qu'il s'agit d'anticiper le risque lié aux inondations à Angers. Exemple avec la transformation de la zone d'activité Saint-Serge, dans le cadre de l'opération Cœur de Maine.
C'est en effet à proximité immédiate de la zone Saint-Serge, au nord d'Angers, que la Mayenne et la Sarthe se rejoignent pour former la Maine. La particularité de cette confluence : être située dans un espace très urbanisé, où les aménagements réalisés au fil des décennies ont abouti à canaliser la rivière dans un lit resserré, et donc plus sensible aux crues. Dans ce contexte, revenir à un état naturel plus propice à absorber les inondations faisait partie des objectifs du réaménagement de Saint-Serge, avec pour référence la crue de 1995.
32 000 m3 de déblais
C'est pour atteindre cet objectif qu'a été réalisé le parc Saint-Serge. Sur une surface de 5,5 hectares, ce parc s'étend dans le prolongement de l'allée François-Mitterrand, autour de l'axe de l'ancienne voie ferrée. Il a permis, d'une part, de désimperméabiliser des sols auparavant très minéraux et, d'autre part, de constituer une zone d'expansion pour recevoir la montée des eaux. Plus de 32 000 m3 de déblais permettront de laisser hors d'eau les locaux à proximité, en se basant sur des projections extrêmes. Ainsi, même en cas de conjonction d'une crue centennale et d'un orage trentennal, l'accès aux bâtiments de la zone Saint-Serge (habitations et activités) ne serait pas empêché.
Améliorer la résilience du territoire
Par sa conception et son intégration au cœur d'un projet d'aménagement en milieu très urbanisé, le parc Saint-Serge constitue l'exemple de ce que l'on appelle la résilience du territoire. A savoir : maîtriser le risque face à une vulnérabilité identifiée, et transformer cette contrainte en opportunité. En effet, loin d'être réduit à une fonction de vase d'expansion, le parc Saint-Serge amène à la ville de nombreux services hors périodes de crue.
La déminéralisation du site contribue ainsi à la renaturation du secteur, en faveur de la biodiversité. Elle permet aussi de développer des usages récréatifs, avec la réalisation d'un skateparc de 1 200 m2 et la possibilité d'accueillir des événements de plein air, à proximité du centre-ville. Du matériel scénique est ainsi mis à disposition des associations culturelles pour faciliter l'appropriation de cet espace, notamment l'organisation de concerts.
Dans le cadre de la journée Au-delà des crues, Ouvre une nouvelle fenêtre organisée le 1er février pour le 30e anniversaire des inondations de 1995, une balade urbaine, Ouvre une nouvelle fenêtre est organisée sur le thème de la prise en compte du risque inondation dans l'aménagement du territoire.
Mis en œuvre dans le cadre du Territoire intelligent, Ouvre une nouvelle fenêtre, le jumeau numérique est une représentation en 3D de l'intégralité du territoire d'Angers Loire Métropole. Les données topographiques et le bâti y sont fidèlement retranscrits, permettant de simuler l'impact de différents phénomènes, notamment les inondations.
Ainsi, en se référant aux cotes relevées lors de la crue de 1995, il est possible de visualiser comment la ville d'aujourd'hui serait impactée par un tel événement. Les fragilités peuvent ainsi être identifiées et prises en compte dans les projets urbanistiques. De même, cette visualisation permet d'anticiper les mesures qui seraient à mettre en œuvre pour protéger au mieux la population.
L'appli Mission inondation est un jeu vidéo pour apprendre à se préparer et agir en cas d'inondation. Entretien avec Elodie Gutierrez, chargée de mission "prévention des inondations" au Syndicat mixte des basses vallées angevines et de la Romme, Ouvre une nouvelle fenêtre qui a imaginé le scénario du jeu.
Quel est le principe de Mission inondation ?
Mission Inondation est ce qu'on appelle un serious game, un jeu qui permet d'apprendre et de résoudre des problèmes. Ici, on apprend les bons réflexes à mettre en œuvre en cas d'inondation : faire son sac d'évacuation, mettre les meubles en hauteurs, monter les produits toxiques à l'étage ou marcher sans danger dans une ville inondée par exemple.
Quel est le scénario du jeu ?
Nous sommes en juillet 2025. Alex, 14 ans, emménage dans une nouvelle maison située en zone inondable avec ses parents. Quelques mois plus tard, ils font face à une inondation importante qui les oblige à se réfugier dans un centre d’accueil. On les suit également pendant la remise en état de leur maison à la décrue. On suit les aventures d'Alex avant, pendant et après l'inondation. On prend les décisions avec elle et on les met en œuvre en contrôlant le personnage.
À qui ce jeu est-il destiné ?
La cible c'est surtout les enfants à partir de 10 ans, en fin de primaire ou au collège, mais les adultes qui vivent ou travaillent en zone inondable peuvent tout à fait y jouer. Dans notre territoire, les rivières débordent tous les ans. Il faut entretenir la culture du risque auprès de tous les habitants. À l'heure d'aujourd'hui, 4 000 personnes ont téléchargé l'appli sur mobile ou tablette et un tiers des utilisateurs est allé jusqu'au bout du jeu. Ce qui est deux fois plus que la moyenne.